druid a écrit :Put'1, 35 bornes à vélo, dans le vacarme, la circulation, la pollution et la puanteur de la capitale, t'es complétement maso !
Bah... je longe le canal Saint-Denis, avec ses canards, ses mouettes, les cadavres de scooter et de vélib', les rats qui traversent sans regarder.
- Canal Saint-Denis.JPG (141.46 Kio) Vu 2367 fois
- Canal silo.JPG (102.91 Kio) Vu 2367 fois
C'est bucolique, y'a des pavés, des gravats, des chantiers et des équipes de balayeurs qui font un travail d'autant plus remarquable qu'il faut recommencer chaque matin. Je leur dis toujours bonjour, je respecte ces travailleurs qui sont plus importants et pourtant beaucoup moins bien payés que les ministres.
Arrivé Porte de la Villette, le décor change un peu : c'est le bassin de la Villette qui se prolonge jusqu'à Stalingrad (la place, pas la ville). C'est joli, y'a des bistrots croquignols dont les façades et terrasses colorées égayent le paysage, des bâtiments industriels en briques à toits pointus, du temps où c'était des abattoirs et des entrepôts... le même paysage en noir et blanc et tu te croirais dans une BD de Tardi ou un film de Marcel Carné ou dans les vieux Maigret avec Jean Richard.
- Pont levant Crimée.JPG (88.91 Kio) Vu 2367 fois
Chaque jour est différent avec la lumière qui change et le regard à de quoi s'épanouir sur des perspectives assez ouvertes. J'aime bien !
- Canal jonction Villet-Ourcq.JPG (94.62 Kio) Vu 2367 fois
Au loin vers l'Est, les toits des grands moulins de Pantin se reflètent dans le canal de l'Ourcq qui fait sa jonction ici avec celui de Saint-Denis, avant de devenir le canal Saint-Martin qui file plein sud vers Bastille... mais là, ce n'est pas ma route.
Une fois à Stalingrad-Jaurès, là ça y' est, t'es vraiment dans Paris, le Paris d'Hidalgo, celui avec des chantiers aberrants tout les 10 m, un vrai bordel ! Les bagnoles, les camions et les motos sont coincés de partout, tout le monde subit... moins à vélo, car on se faufile, en essayant d'éviter les milliers de piétons lobotomisés vomis par la bouche du métro Jaurès et qui errent erratiquement sous le pilotage de leurs smartphones, les mains prises par leur doudou numérique, le regard vide, la bouche semi-ouverte comme les p'tits vieux qui meurent à l'ephad. J'affole cette piétaille stupide à coups de sonnette, gring-gring, gring-gring !
Je remonte fissa le faux-plat qui grimpe vers la Place du Cl-Fabien, je vise entre les bagnoles dans ce rond-point qui est aussi agressif que la place de l’Étoile, mais en plus petit : les bagnoles, les bus et les camions déboulent de tous côtés, le sol est pavé, ça secoue et ça peut déraper de l'avant, surtout qu'il faut aborder l'endroit avec de l'élan, comme en canoé dans les rapides, sauf que là, les rochers bougent aussi ! Chaud !
Enfin j'atteins la piste cyclable qui court du Bd de la Villette jusqu'à Nation, serrée sur le côté droit de la chaussée et vaguement délimitée par une bordure bétonnée... ça grimpouille, ça redescend, ça passe par Belleville et Ménilmontant, ça longe le marché qui se déplace de jour en jour, avec les vieux camions délabrés des primeurs et des livreurs de barbaque qui déhallent leurs demi-mouton pile au moment où tu déboule, les mains sur les freins ou en pleine poussée sur les pédales, ça dépend de la pente.
C'est le Paris populo des Chinois de Belleville qui ont pris la place des Kabyles qui avaient remplacé les bougnats cantalous derrière le zinc des bistrots... c'est le boulevard des travailleuses du trottoir qu'ont fait de la route depuis leur Mandchourie natale... à Ménilmuche, ça change un peu, c'est le quartier des Ashkénazes, avec leurs écoles confessionnelles et les labos d'analyses médicales qui côtoient les épiciers tunisiens et les pâtisseries orientales... je pédale en sifflotant
"Ménilmontant, mais oui madame..." de Trenet ou bien je pense à Eddy Mitchel et sa rue des Solitaires, dans la chanson "la dernière séance".
Finalement, au bout du Bd de Ménilmontant, je débouche sur la place où se croisent les avenues Gambetta et République et la rue du Chemin vert dans le prolongement de laquelle on voit, très loin et bien dressée sur ses pattes arrières, la Tour Montparnasse, là-bas à l'ouest.
Je continue et je coupe la rue de la Roquette, là où il y le local de Radio-Libertaire, salut et fraternité camarades ! A ma gauche, de l'aut' côté du boulevard, le Père-Lachaise, ses hauts murs et ses gisants célèbres dans l'éternité... à ma droite, les bistrots, les fleuristes à chrysanthème et les entreprises de pompes funèbres, avec leurs corbillards qui manœuvrent devant des groupes de gens accablés, tout en noir, perdus sur le trottoir avant d'accompagner la fin de la route d'un de leurs proches. Gring-gring, gring-gring, pardon m'sieur-dames, faîtes gaffe aux vélos, j'tiens pas à rejoindre trop vite votre défunt au frigo!
- Père-Lachaise.JPG (139.63 Kio) Vu 2367 fois
Allez, ça fait maintenant 45 mn que je pédale, j'suis chaud comme la braise, j'ai pas froid du tout et j'enquille la morne avenue Philippe-Auguste qui a le mérite de descendre vers Nation... ça file, je dois friser le quarante à l'heure et je vais plus vite que les bagnoles ! J'ai la sueur qui me glace sous le blouson, la gapette prête à s'envoler au vent de la course.
Voilà Nation, terminus des jours de grandes manifs, que je contourne par le nord pour attrapper la rue de Lagny qui file droit vers Vincennes, Saint-Mandé et Montreuil. Je coupe la rue des Pyrénées, au pied de l'immeuble Garance, énorme baleine rouge qui abrite le siège administratif du ministère de l'Intérieur et de la sécurité routière, là où je me rend quatre fois par mois en réunion pour défendre la cause (votre cause) des motards au Conseil national de la sécurité routière (d'où la photo postée plus haut).
Sur la passerelle qui enjambe le périph', entre les portes de Montreuil et de Vincennes, je passe au-dessus des embouteillages et je vois mes frères motards qui remontent les files à la queu-leu-leu, bien content d'échapper à c't'enfer !
- passerelle Périph.JPG (120.23 Kio) Vu 2367 fois
Le panneau à message variable qui enjambe les voies indique "Porte de la Chapelle, 25 mn".
Voilà, c'est le dernier bout : je longe le mur du cimetière, côté Saint-Mandé, puis Vincennes. A ma gauche, c'est Montreuil bas-quartiers et ses anciens ateliers reconvertis en immeubles de bureaux ou en lofts à bo-bos.
Encore 5 mn et j'arrive au boulot, après 17,5 km parcourus en 55 mn à rythme soutenu.
Le soir, je referai le trajet dans l'autre sens, mais en passant par Avron pour rattraper le Bd de Charonne et en ce moment, vers 19 H commencent de beaux ciels crépusculaires qui incendient les eaux mornes du bassin de la Villette.
Tout le long du trajet, j'ai côtoyé d'autres cyclistes, souvent les mêmes, on se reconnait à force. Y'a le sportif en tenue de cycliste qui fonce comme un bourrin à l'assaut du Ventoux, y'a le sécuritaire tout en fluo, avec son casque ridicule qui lui donne des airs de Caliméro, y'a le décroissant zadiste sur son vélo de récup', un vieux Peugeot qui fait crouic-crouic à chaque tour de pédalier, y'a le tout-venant en vélo Décahtlon et l'antivol en U qui brinquebale sur le porte-bagage, sans oublier les nouveaux forçats du bitume, les africains qui triment pour Deliveroo, avec leur pack à bouffe sur le dos et leurs smartphone scotché sur le bras pour tracer leurs clients au GPS... Le plus chouette, c'est les nanas qui vont au bureau, avec leurs jupes colorés qui volettent comme des ailes de papillon et leurs gambettes de parisiennes qui montent et descendent comme des bielles au travail au rythme binaire des pédales. Elles sont mimi et quand tu les doubles où que tu les croises, elles sentent bon comme des fleurs, ça justifie largement tout le voyage !
Au début, j'en chiais grave et à force, ça va de mieux en mieux et je ne regrette pas l'interfile à moto sur le périph' et tous ces crétins de scoutéristes à trois roues qui forcent le passage à coup de klaxon... j'avais de ces envies de planter les freins et de distribuer des bourre-pifs, j'en arrivais tout colère au boulot !
Nan, c'est bien mieux à vélo... c'est plus poétique !