PRYT a écrit :Et si on chauffe au chalumeau, qu'en est-il du point de vue métallurgique ?
Bonjour Pryt,
Comme l'a écrit Jacques, nous entrons là dans le domaine du traitement thermique. C'est un procédé spécial, encadré par des procédures strictes et basées sur des tests destructifs et des analyses en laboratoire métallurgique. Chaque nuance de métal va nécessiter un traitement thermique adaptée à sa structure métallurgique et aux propriétés mécaniques attendues.
Si on chauffe modérément, on va faire un recuit. On libère des contraintes accumulées dans la structure métallique.
C'est utile sur un joint de culasse en cuivre qui a été écroui par les vibrations entraînées par des millions de cycles de moteur thermique. L'écrouissage entraîne une augmentation de la dureté. Or, en métallurgie, plus une pièce est dure, plus elle est cassante. Si le joint de culasse devient trop dure, il finit par "claquer". C'est pourquoi il est recommandé de le recuire lors d'une opération d'entretien du haut-moteur, afin de lui rendre de sa malléabilité, qui est la propriété attendue pour qu'il assure sa fonction : l'étanchéité entre deux surfaces métalliques.
La question est : est-ce qu'un recuit (localisé) est utile sur un cadre de moto ? A quelle température effectue-t-on ce recuit ? Quelle est la nuance d''acier que l'on recuit ? Est-ce qu'une augmentation de l'élasticité du tube à cet endroit est la propriété mécanique recherchée ?
A l'inverse, si l'on chauffe beaucoup au chalumeau (jusqu'au rouge cerise par exemple), on va faire une nouvelle trempe à l'air (partielle). L'objectif d'une trempe, c'est souvent d'obtenir une pièce plus dure, qui va moins se déformer, ou avec une dureté de surface qui va mieux résister à l'abrasion ou à la fatigue. Mais on a vu que plus on augmente la dureté, plus on rend la pièce cassante (on augmente son point d'élasticité pour le rapprocher du point de rupture : la pièce ne se déforme pas mais si la contrainte est trop forte, elle casse).
Dans une trempe la montée en température n'est qu'un facteur. Qu'il faut déjà maîtriser parfaitement. Les armuriers de formation classique apprenaient autrefois les divers coloris d'un acier standard lors de sa montée en température : jaune pâle (205°), jaune paille (235°), brun jaunâtre (260°), violet (275°), etc. jusqu'à la chauffe à blanc (1200°). C'est un système visuel assez précis une fois bien maîtrisé.
Le second facteur, c'est le refroidissement. On peut refroidir une pièce trempée à l'air, à l'eau, à l'huile, dans le sable... Là encore, le mode de refroidissement va influer sur les propriétés mécaniques finales. On peut vouloir un refroidissement brutal (la lame forgée placée dans un seau d'eau) ou un refroidissement très lent au sable.
Enfin, le troisième facteur c'est le revenu. On l'a vu, la trempe va avoir tendance à accumuler des contraintes internes qui vont certes augmenter la dureté de la pièce, mais aussi le rendre plus cassante. Pour libérer en partie ces contraintes, sans perdre l'intégralité des propriétés mécaniques obtenues grâce à la trempe, il faut de nouveau chauffer la pièce, à une température bien précise, et inférieure à la tempe elle-même = le revenu.
Si vous faîtes tomber une clef dans le sous-sol et qu'elle se casse nette en deux, ce n'est pas forcément la peine d'incriminer le fabriquant et son acier "à ferrer les ânes", c'est plus probablement le résultat d'un lot de pièces trempées qui ne sont pas passées au revenu chez le sous-traitant qui fait le traitement thermique. Idem pour un couteau bon marché dont la lame casse nette en deux. En coutellerie, on veut des lames très dures, et si on est pas près à investir dans des aciers spéciaux onéreux et qu'on se contente de tremper au maximum un acier standard, on le rend alors très cassant.
C'est pour touts ces raisons que l'observation de tous ces customs et autres "bitzas" avec des cadres délirants dans le milieu de la moto me laissent pour le moins perplexe. On ne dessine pas un cadre de moto en fonction des seules critères esthétiques, et la conception de ceux-ci est un métier où l'expérience compte beaucoup. Certains constructeurs se sont taillés une réputation d'avoir d'excellents cadres, là où d'autres se sont toujours sentis pénalisé par une partie cycle inférieur à la motorisation... Voire des "préparateurs" de magazine se lancer dans la réalisation de cadre soudés sans formation d'ingénierie ni de connaissances métallurgiques laisse toujours un peu songeur. Si ces préparations se retrouvent à la pelle dans des lofts ou dans les colonnes des PA sans avoir vraiment roulé, ce n'est pas seulement dû à mon avis à des critères esthétiques discutables. la plupart doivent tout simplement avoir un comportement routier malsain et dangereux. On ne s'improvise pas dessinateur de cadre de moto.
Donc, si on en revient à notre cadre de moto, si on chauffe soi-même une partie de celui au chalumeau dans son atelier, on fait soit un recuit, soit une nouvelle trempe à l'air, non suivie d'un revenu. Dans le premier cas, on va "ramollir" la section chauffée, et donc l'exposer plus facilement à la déformation plastique (ce qui n'est pas l'objectif poursuivi ici), dans le second cas, on va modifier sa structure interne de façon non maîtrisée, et l'absence de refroidissement adéquat et de revenu vont probablement la rendre beaucoup plus cassante (ce qui n'est pas non plus l'objectif poursuivi ici).
Donc, on écoute la sagesse et l'expérience de Jacques et on s'abstient de se lancer dans un procédé qu'on ne maîtrise pas, surtout si c'est pour ensuite s'asseoir sur ladite pièce à vitesse élevée.
(A noter également que c'est valable aussi pour les opérations de soudage. Une soudure chauffe beaucoup le métal, jusqu'à la tempe partielle, et va donc accumuler des contraintes dans le métal adjacent au cordon de soudure. Si on ne les libère pas par un revenu approprié, la pièce risque de casser net par la suite, et l'apprenti soudeur pourra croire (à tort) que c'est par une défaillance inattendue de son superbe cordon de soudure...)