Limobull a écrit :...j'en reviens au gars qui roule sans protection parce qu’il a décidé que c'était une entrave à sa vie et à sa liberté de choix. ...
Je pense que la plupart des gens qui roulent sans protection n'ont simplement pas conscience des conséquences en cas de chute ou d'une glissade. Envisager l'accident (préalable à une prise de conscience conduisant à adopter des stratégies préventives) relève d'une pensée anxiogène au départ. Et le cerveau humain fait le tri entre le plaisir, la satisfaction et les pensées anxiogènes qu'il réfute d'instinct.
Pour que l'individu accepte l'idée de prévention (donc au préalable une réflexion sur l'accident et ses conséquences), il faut qu'il contre-balance l'aspect anxiogène avec un gain, une valorisation. Par exemple, on trouve cette forme de valorisation dans les sports techniques dits "à risques" comme les activités subaquatiques, nautiques, spéléo, vol libre : celui qui "maîtrise" (donc qui est "bon", performant) est celui qui envisage aussi l'accident et qui s'équipe, l'équipement devenant également le marqueur de sa maîtrise, de son expertise, exactement comme un "vrai" motard (ou qui se considère comme tel) arbore un équipement tout cuir qui le définit au yeux des autres d'emblée comme un "expert".
Bref, s'équiper, c'est-à-dire envisager l'accident et engager une stratégie de prévention ne va pas de soi... ça s'enseigne et ça se transmet par exemplarité, mais aussi par le désir d'appartenir à un groupe (d'être reconnu et accepté) qui se signale par une visibilité indiquant l'expertise (comme l'équipement).
La loi ou le règlement, par essence dénués de pédagogie et de notion d'acceptation puisque obligatoires, suscitent plus le rejet que l'adhésion... En termes de sécurité, les résultats sont plus ou moins obtenus, mais juste par la menace du contrôle et des punitions afférentes. Si l'on supprime la menace et le contrôle, les individus concernées délaissent ce que la Loi prétendait imposer.
Si en revanche l'individu adopte de lui-même des équipements de protection et des stratégies de prévention, c'est parce qu'il en a compris l’intérêt et à partir de ce moment-là, ça devient valorisant, donc gratifiant pour lui-même. Mais là encore, faut passer par la phase éducation, éveil, partage des connaissances.
Le Colombien qui roule en ticheurte et avec un casque immatriculé est particulier : la sur-immatriculation est imposée au départ pour des raisons de lutte contre la criminalité. En Colombie (comme ailleurs), de nombreux crimes liés au narcotrafic sont réalisés à partir d'une moto (surgir vite et se sauver). Au départ, les autorités ont interdit le port du casque intégral pour éviter les visages masqués... puis, elles ont imposé l'immat' sur le casque et un gilet, mais initialement, c'est bien la lutte contre la criminalité qui a motivé ces règlements et non un impératif de sécurité routière.
Pour le reste, ce motard colombien fait naturellement ce que font des millions d'usagers dans les zones tropicales et les pays à faible développement où le deux-roue est aussi un mode de transport populaire : il prend sa moto en tenue légère parce que tout le monde fait ainsi et c'est "normal" et non parce qu'il exprimerait un rébellion fondée sur son sens de la Liberté.
C'est donc aussi une question de "norme sociale", avec des marqueurs d'appartenance ou de non-appartenance à des groupe plus ou moins existants en tant que tels... la comparaison fonctionne chez nous avec les motards "à poil dur", équipés et les "commuters" péri-urbains sur leur MP3 en tenue de ville.
Pour le commuter en MP3 en IDF, son engin n'est pas une moto, c'est juste une sous-voiture plus pratique qu'une voiture... son utilisateur ne se sent pas motard, il ne veut pas non plus ressembler à un motard avec ce que ça sous-entend en idée de rébellion, de risque-tout, etc... le commuter met un casque et des gants d'abord parce la loi l'impose, mais pas tellement parce qu'il sait que ça peut le protéger : contrairement au motard auquel il s'oppose inconsciemment, il pense qu'il ne prend pas de risque (le risque, c'est les "autres") et la tenue motarde est un marqueur social auquel il ne s'associe pas. C'est juste avec l'expérience et dans la durée (au-delà d'un hiver et dans une utilisation quotidienne) que le commuter finit par s'équiper, seulement quand il s'est convaincu par lui-même de l'intérêt d'être correctement équipé. Il le fait alors par raison, mais cela prend du temps.
Autre exemple, les motards allemands : contrairement à une légende urbaine, rien n'impose le port d'équipement complet en Allemagne, ni par la Loi, ni par les assurances... c'est juste que le motard allemand ne se définit en tant que motard que bien équipé, selon leur norme sociale qui a cours Outre-Rhin. Là-bas, un mec à moto non équipé en motard, c'est juste un guignol, un amateur, un type pas sérieux, un mec sur qui on ne pourra pas compter. Il se trouve que les motards allemands font surtout de la moto par plaisir et par conviction : chez-eux, pas ou peu de "commuters", pas de besoin de rouler en 2RM pour aller travailler au quotidien... la moto en Allemagne, c'est d'abord une culture du voyage et un peu aussi du "sur-homme" sportif, déterminé et performant (ça marche aussi pour les femmes). L'équipement corporel de protection (outre sa fonction primaire de protection) qualifie également le motard en tant que "motard", avec toute l'idée valorisante que ça implique. Les conditions climatiques favorisent également le port d'équipements de protection "lourds".
A l'inverse, en Italie, pays chaud avec des villes anciennes aux ruelles étroites avec de faibles niveau de développement économique durant longtemps, le deux-roue est d'abord un mode de transport populaire (comme en Colombie), avec des scooters, des petites cylindrées accessibles à tous et utilisés à tous les âges d'abord sur des petites distances (mode urbain). Et donc, l'équipement du motard relève plus de la culture motarde pour motards au long cours sur des grosses cylindrées.
Toute cette analyse me laisser à penser qu'en matière de sécurité routière, nos décideurs devraient davantage s'intéresser à la sociologie plutôt qu'au technique ou au réglementaire.
Pour conclure, si dans notre groupe, les bulletistes que nous sommes sont généralement assez bien équipés en "motards" (les photos de nos rassemblement en témoignent), c'est parce qu'avec nos moto (qui sont en plus des motos "statutaires"), nous nous définissons comme tels, comme des motards. Et si nous nous équipons en motard, c'est plus par expérience de motard que parce que la loi nous l'impose.