Bin moi, j'ai la nostalgie des trains de ma jeunesse, quand j'avais 17-20 ans et que je descendais dans le sud pour "faire les saisons" et gagner trois sous durant les vacances d'été.
C'étaient ces bons vieux trains de nuit de la SNCF, avec ses odeurs de vieille pisse et d'huile qui remontaient du ballast et ces compartiments et un couloir où l'on pouvait fumer à la fenêtre et accoster des inconnu(e)s pour taper la discute, en se prenant du gros vent dans la gueule... le bruit des boogies faisait tatac-tatoum, tatac-tatoum et on entendait les sonnettes des passages à niveaux qui faisait ding-ding-ding-ding-ding dans un bruit décroissant...
Quand les dernières lueurs des banlieues endormies s'étaient perdues dans la nuit et qu'on était saoulé de bruit et de vent et qu'on était sûr d'être enfin en route vers l'Aventure, retour sur les banquettes en skaï du compartiment ou ça semblait d'un coup plus calme... l'imagination se perdait alors sur les photos en noir et blanc encadrées dans le compartiment, là une scène champêtre d'un berrichon menant ses bœufs aux champs, là le viaduc de Garabit enjambant les Gorges de la Truyère, ici le Cormet de Roseland et là, les aiguilles d'Etretat.
Sous la plaque rivetée qui disait qu'il était dangereux de se pencher à la fenêtre et pericoloso sporghersi, on faisait claquer le capot du cendrier SNCF à bascule, tout en alu massif, quelle belle pièce !
Le hasard (mais on pouvait l'arranger un peu) faisait qu'on voyageait parfois en compagnie d'une belle célibataire perdue dans ses pensées et son roman de gare, distante et farouche comme une biche à l'étang aux aurores... ou parfois en supportant une famille Duranton au complet avec ses mioches morveux et remuants, dans les odeurs fétides de chaussettes sales et d’œufs durs que la cheffe de cette marmaille déballait à coup sûr, emplissant tout le compartiment d'une odeur d’œuf pourri et de vieux pet. Mais gentille, elle offrait parfois en partage une cuisse de poulet froid ou quelques rondelles de saucisson et les mômes vous reluquaient d'un regard en dessous, les doigts luisant de mayonnaise.
On pouvait aussi tomber sur un philosophe en transit et la discussion pouvait durer jusqu'aux premières lueurs de l'aube, chacun pouvant raconter la vie qu'il voulait, qu'il rêvait ou qu'il avait rêvé.
Et puis au petit matin, le train entrait enfin dans la gare où l'on descendait : les hauts-parleurs sur le quai indiquaient d'une voix méridionale que vous étiez arrivé :
"Avignon'g, Avignon'g, deux mineuteu d'arrrrêt, correspondances pour Tarascon'g quai N°2, voie A..."On saluait ses compagnons de voyage éphémères en se dirigeant vers le buffet de la gare, fatigué et fripé, sac au dos, la bouche pâteuse d'un sommeil trop court, pour un premier café et un croissant des vacances qui commençaient, un peu comme dans la chanson de Michel Fugain.
Maintenant, avec le TGV, une voix numérique avec son jingle idiot (doumdoum-didam...) vous assène les consignes de sécurité et les wagons ressemblent à un open-space des bureaux de La Défense, chacun muré dans ses écouteurs ou devant son ordi portable.
Merde alors !