Messagepar jbt » 05 janv. 2024, 07:09
Difficile de séparer orthographe, syntaxe et grammaire...
Quand quelqu'un écrit indifféremment "ces", "ses", "s'est" et "c'est", comme je le vois régulièrement, les frontières sont abolies.
Il n'y a aucun lien entre intelligence et orthographe. Ca, je peux l'affirmer, ça fait partie de mon job que de faire des bilans psychologiques (qui n'intègrent au passage aucune évaluation de l'orthographe), il n'y a aucune corrélation entre les résultats et la qualité de l'orthographe.
Par contre, la perception qu'on a de quelqu'un à l'écrit, très clairement, est influencée par la qualité de l'orthographe perçue.
On forme tous ce qui s'appelle des "théories implicites de la personnalité", pour des raisons de rapidité et de facilité de jugement, en se basant sur quelques éléments facilement visibles pour se construire une représentation complète de la personne, mais pas forcément juste.
Et dans des contextes où l'écrit est primordial, comme à la lecture d'un CV ou sur un forum internet, forcément la qualité de l'expression écrite est un indicateur biaisé mais puissant de la personnalité de celui qui l'émet.
Il y a bien des gens qui sont dyslexiques. C'est une réalité médicale, qui se traduit par une incapacité à repérer les fautes d'orthographe qu'on lit ou qu'on fait. On estime qu'en France, ça concerne 6 ou 7 % de la population, dans le même ordre de grandeur que pour les utilisateurs d'autres langues, ce qui élimine au passage l'hypothèse que la difficulté de la langue française serait une explication à la fréquence de la faible qualité de l'expression écrite.
Ce qui a changé ces deux dernières décennies, et particulièrement depuis l'entrée en vigueur de la loi sur le handicap de 2005, c'est que la dyslexie a été prise en considération (pas forcément prise en compte) dans le domaine scolaire. La reconnaissance de ce trouble a donné lieu à la mise en place d'aménagements pédagogiques, visant à adapter l'enseignement au handicap présenté. Avec, certes, de grandes disparités dans les aménagements...
Presque 20 ans plus tard, je constate dans les établissements où j'interviens qu'on est passé de 6 ou 7 % d'élèves dyslexiques à 25 à 30%.
D'un point de vue purement épidémiologique, c'est du jamais vu!
Soit un mystérieux virus se propage en milieu scolaire et atteint spécifiquement les voies lexicales,
Soit les hordes déferlantes d'étrangers pas de chez nous ont envahi nos écoles pour faire exprès de mal apprendre le français pour nous grandremplacer,
Soit...on est face à un effet pervers de cette loi sur le handicap.
Car dans un contexte où la pression scolaire et les enjeux imaginés de la scolarité ont connu une inflation flagrante, tout le monde y trouve son compte, au moins à court terme.
En premier lieu pour les élèves: la pression est relâchée, les exigences scolaire assouplies, le travail à rendre (pas à fournir!) est diminué. Ouf.
Pour les parents ensuite: Ouf, mon gamin n'est pas con, je ne suis pas un mauvais parent, c'est la faute à la dislexy si Dylan y sera jamet écrivin come Florant Pagny.
Pas que, madame, pas que.
Pour les enseignants évidemment: ouf, ce n'est pas moi qui ne sais pas enseigner, c'est ce gamin qui est handicapé! Allez, on lui file des textes à trous et une question en moins sur le contrôle, et je lui fous la paix, je suis pas éduc spé, moi, j'en ai 31 autres à gérer dans la classe.
Pour le reste de l'équipe scolaire, infirmières, psychologues scolaires, enseignants référents, inspecteurs chargés du handicap, et surtout MDPH, qui peuvent reconnaître à tour de bras du handicap et afficher un taux d'inclusion extraordinaire qui, à défaut de scolariser 100% des enfants handicapés, finira bien par handicaper 100% des enfants scolarisés.
Et puis, bien entendu, les orthophonistes sont les grands gagnants de l'histoire, avec une telle manne céleste leur garantissant une activité à long terme, puisqu'une prise en charge, en moyenne, dure de l'âge de 6 ans à 14 ou 15 ans.
Curieusement, le taux d'élèves présentant des troubles dys suit une courbe exactement parallèle , avec un ou deux ans d'écart, au nombre de diplôme d'orthophonie délivrés.
De là à dire que la solution soit la cause du problème, il y a un pas que je m'empresse de franchir.
Le plus cocasse dans l'histoire, c'est qu'au final, ce sont souvent les élèves dyslexiques qui font le moins de fautes d'orthographe une fois adultes! Parce qu'ils ont eu à développer des stratégies d'adaptation, une exigence envers eux-mêmes de relecture, d'auto correction, qui est rare chez les autres, mais qui a aussi eu des retentissements sur le capacité à réussir des études supérieures. A condition que cette difficulté supplémentaire ne les ait pas amenés à l'épuisement scolaire avant, faute d'un accompagnement mérité mais jamais réclamé pour ne pas être stigmatisé parmi les pairs.
Les cas de ce type sont plus fréquents qu'on ne pourrait le croire.
A côté de ces considérations plutôt sociologiques, il y a un effet très pervers qui s'est développé: celui de rendre visibles les textes mal écrits. Car il ne faut pas croire que les enfants ne lisent ou n'écrivent plus! Je vous défie de battre en rapidité un gamin de 12 ans à l'écriture d'un SMS.
Mais du fait à la fois de l'abandon de la plupart des exigences sur le plan scolaire, et de la multiplication de medias permettant une expression écrite (téléphones, réseaux sociaux, etc.), parfois avec une syntaxe propre, la fréquence d'exposition à des textes comportant des fautes a bondi. Et quelle que soit notre capacité de lecture ou notre éducation, l'effet de fréquence exerce un impact sur la fonction d'écriture: plus on lit un mot écrit sous une forme, plus la probabilité de l'écrire sous cette forme est grande. Ca explique aussi l'affaiblissement généralisé de la qualité de l'orthographe employée, et j'en suis le premier navré, puisque je constate que, moi qui ne faisais de faute que très exceptionnellement, j'en commets aujourd'hui de plus en plus fréquemment et qu'il me faut désormais systématiquement me relire.
Ce sujet parlait initialement de nuances. Pour moi, la langue écrite ne permet de s'exprimer avec au moins autant de nuances qu'à l'oral que si elle est précise, et réformer l'orthographe en la simplifiant ne consistera qu'en un appauvrissement de la langue, une perte du potentiel de nuances, et à une disparition de l'étymologie, de l'accès au sens caché, aux sous-entendus, aux polysémies, au style, et à la poésie qu'elle permet.
On ne peut pas faire de jeux de mots en Python.
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jbt le 05 janv. 2024, 09:19, modifié 1 fois.
La Bullet est ma moto du quotidien.
Non, ça ne veut pas dire qu'il y a un article dans le journal à chaque fois qu'elle démarre.