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Une Bullet au Cirque 2, le retour - 1/2 (par Jihel)
Article mis en ligne le 11 novembre 2011
dernière modification le 10 novembre 2011

Bonjour à tous,

Je l’ai dit ici et là : avant de prendre livraison de ma Bullet le 2 mars dernier, j’ai occupé une partie de mon hiver à passer l’Internet au tamis et à lire tout ce que je trouvais qui concernait ma future moto. Je suis tombé, bien sûr, sur ce forum et le site associé, et aussi, entre autres, sur le blog de Ded31. Ses images du Cirque de Gavarnie, et, surtout, ses vidéos de la montée au Cirque de Troumouse m’ont, a) conforté dans le choix de ma moto, et b) fait décider qu’un jour, moi aussi, j’irai là-bas en Bullet ! Non mais !

Comme Ded31 est quelque part (comme on disait avant, sans jamais préciser où) à l’origine de l’histoire qui va suivre, on comprendra qu’elle lui soit didier. Heu, dédiée.

Mardi 6 septembre 2011 | Grenoble (Isère) Auberge de Peyrebeille (Ardèche) | 235 km

Ca doit être un effet de ce qu’en Bas-Dauphiné on appelle la vieillerie : je mets de plus en plus de temps à partir. Pourtant, partir-revenir, j’aime bien ça, c’est même quasiment devenu mon activité principale. Mais alors qu’habituellement, pour un voyage de plusieurs jours, je compte environ 3 h entre le moment où le radio-réveil me tire du lit et celui où je passe le Pont de Catane, aujourd’hui, alors que je me suis levé à 7 h 15, je passe ledit pont à midi ! Gloups ! Il est vrai que, suite à un week-end super mais super arrosé à La Bérarde, mes affaires pour sécher étaient éparpillées dans toute la maison, et il a fallu du temps, ce matin, pour reconstituer les sous-ensembles…

La moto, bien astiquée comme il faut et la chaîne nettoyée-graissée (c’est tout ce que je sais faire, de toutes façons), marche comme un charme - excepté un léger guidonnage à la retenue, à 60 kmh pile, je crois que le chargement l’accentue, il va falloir regarder ça, peut-être l’usure des pneus ? En un saut de puce, la RN 532 m’amène pique-niquer à Cognin les Gorges (à 25 km de Grenoble !). Je ne ferai pas une grosse étape aujourd’hui, mais on s’en fout, j’ai tout mon temps, la météo est avec moi, je pars au feeling à travers le plus beau pays du monde, et vive la vie ! Une seule chose est décidée : aller dormir à l’Hôtel de Compostelle à Gavarnie (survendu par MotoMagazine, ma Bible), avant d’aller rouler dans les trajectoires de Ded31 au Cirque de Troumouse…

Déjà avant la Bullet, plus encore maintenant, ma manière de traverser la Vallée du Rhône est immuable : juste avant le péage de l’A 7 à Valence, je prends un bout de la RN 7 et passe de l’autre côté par le barrage de Charmes (pour le nom, déjà). Sur le barrage, c’est une voie unique, alors il y a un feu parfois un peu long, mais on peut regarder les bateaux, ça occupe. Quand je fais une vraie pause au barrage suivant, celui de Beauchastel, peu avant La Voulte, il est déjà 15 h 40.

Un bateau pour touristes est là qui attend de passer l’écluse. Ce sera sans moi, qui pourtant suis toujours fasciné par la géniale simplicité du principe. Tiens, il faudra que j’aille rendre hommage à Pierre-Paul Riquet, dans quelques jours…

Via L’Escrinet et une traversée d’Aubenas de plus en plus facile, me voilà à La Chavade. La belle montée par la RN 102 depuis Mayres s’est faite en enroulant entre la 3 et la 4 sans jamais forcer, un pur plaisir. Ici commence le pays de la Burle, cher à Captain Bertie et Ouralman (en hiver de préférence). Les sources de l’Ardèche sont tout près, et aussi le magnifique plateau de Cham Longe, sur la route du Col du Pendu.

Je décide d’aller dormir à côté, au Gîte du Pas de l’Ane (on voit le panneau sur la photo), où j’ai un jour cassé la croûte agréablement, en parlant des éoliennes avec le type sympa qui tient l’endroit. A lui, celles du Plateau de Cham Longe toutes proches donnent des boutons, et il ne cache pas qu’il est en procès avec EDF. Moi, les éoliennes, je trouve ça beau dans le paysage, ça va bien avec mon côté écolo, toussa. En fait comme tout le monde je trouve ça ’achement bien, mais... not in my backyard ! Bon, c’est pas avec ce genre d’attitude qu’on va sortir du nucléaire, je sais. Finalement, malgré le message sur répondeur qui laissait espérer le contraire, le gîte est fermé, cépagrave, on reparlera des éoliennes une autre fois, et je me retrouve à l’Auberge de Peyrebeille.

J’aime bien ce drôle d’endroit, propriété je suppose de la collectivité locale, et confié à des gérants différents à chacun de mes passages. On y mange invariablement la même chose, par contre ("Repas Campagnard" avec charcuterie, omelette et fromage), et j’ai connu mieux. Mais on ne paye pas bien cher, il y a un grand garage, et même une pompe à essence. Le papy qui mange à côté de moi est un peu dérangé, ou un peu sourd, ou les deux, et ne cesse de me répéter que "C’est à cause des camions". Je ne comprendrai jamais pourquoi.

Il y a à l’Auberge de Peyrebeille un incroyable bazar de Produits Régionaux et de "Souvenirs" en tous genres, largement axés sur les horreurs qui se sont produites ici (dans les années 1805-1830, les tenanciers de l’établissement auraient détroussé plus de cinquante voyageurs avant de les assassiner. En fait c’est sûrement moins que ça, mais cinquante, c’est un bon chiffre, coco). Grâce à la figure populaire de Fernandel, des trois films tirés de l’histoire, celui de Claude Autant-Lara est le plus connu, et proposé à la vente ici, avec des livres et toutes sortes de produits dérivés dotés d’illustrations bien glauques, genre la Une de Détective.

Bah, tout ça ne m’empêchera pas de bien dormir.

Mercredi 7 septembre 2011 | Auberge de Peyrebeille (Ardèche) Lacaune (Tarn) | 253 km

Au bar de l’Auberge ce matin, pendant que j’attends mon p’tit déj’, les chasseurs, qui sont ici chez eux, discutent ferme de l’élevage de lièvres "pour entraîner les chiens" qui fonctionne derrière l’établissement. Brrr, je ne sais pas exactement de quoi il retourne, mais je n’échangerais pas ma place contre celle d’un lièvre entraîneur de chiens ! Un chasseur rigolard arrive et fait la bise à l’hôtesse, qui est jeune, svelte et agréable. A son mari : "Hé, tu fais quoi toi, la nuit ? T’arrive à dormir ?" Eclat de rire général. Bah, on est en France, hein…

La belle lumière du matin, sur le bout de nationale en direction du Puy (juste avant de bifurquer vers Pradelles et la Lozère), me fait regretter de pas avoir installé la Drift, au motif que je connais toutes ces routes par coeur. Je suis quand même obligé de m’arrêter pour tenter d’attraper quelque chose des vues étendues vers la Haute-Loire, j’espère qu’on ne verra pas que j’ai enlevé la vilaine balise rouge et blanche qui trainait au milieu de la photo.

Sur la RN 88, les 49 km de bonheur qui séparent Langogne de Mende sont parcourus très agréablement à la vitesse réglementaire de 80 kmh (d’accord, ici, 88 kmh aurait été mieux, mais je n’y ai pensé qu’après), me payant même le luxe de quelques dépassements de camions un peu limite. Occasion d’illustrer la ressource de l’enchainement 4ème -5ème, la petite allonge du mono faisant qu’on se retrouve vite fait à 110-120 s’il le faut. Un peu plus tard, un bulletiste notoire qui roule en fonte de 2006 me dira que l’exercice n’est pas si évident pour lui.

J’ai à peine béquillé pour une pause café à la sortie de Mende que deux employés de la boutique d’à côté se jettent sur moi, sur la moto plutôt : "Elle est superbe", toussa. Ils tournent autour, l’un d’eux me dit qu’il a une Bullet de Redditch, il a droit du coup à toute ma considération. Sur le parking, un jeune couple vaguement hippie (ça nous rajeunit pas !) monte dans un J 9 en ruines, qui ne doit qu’à la rouille de tenir en un seul morceau. C’est elle qui s’installe au volant, et entreprend un demi-tour compliqué qui très vite menace dangereusement ma moto ! Je fais des moulinets avec les bras. "Ce serait dommage d’abimer un si beau J 9 !", dit l’un des types, hilare. J’ai bien rigolé aussi. Après.

Depuis ce matin il fait frais (l’altitude moyenne de la partie de la Margeride que je viens de traverser est de 1200 m), il y a des feuilles mortes qui volent dans l’air, avec ce soleil voilé, on dirait l’automne. Je sais bien que c’est la plus belle des saisons, mais je n’aime pas trop tout ce qui vient avec, et le solstice d’hiver dont on n’a jamais été aussi près cette année... Allez, ça doit être encore un truc de vieillerie, ça.

Bon, faut qu’on avance, d’autant qu’il n’y en a déjà plus que deux qui suivent ! Encore de la belle route à moto le long de la vallée du Lot, jusqu’à Chanac, où je monte sur le Causse de Sauveterre direction Millau. A la sortie de Chanac, feu rouge de chantier - avec minuterie, c’est parfait, mais il y en a pour plus de 4 mn. Je vois dans les rétros qu’un type sort en courant de la Clio grise qui me suivait presque depuis Mende. Le temps que je retrouve où j’ai planqué la bombe lacrymo anti bike-jacking, il me tend la main : "Bonjour, je vous suis presque depuis Mende, votre moto est vraiment superbe, c’est quoi comme marque, où on peut en acheter une, etc.". On tape la discute jusqu’au feu vert, et là, je jure que je mens pas, il fait demi-tour et repart en direction de Mende. Il n’était venu jusque là que pour me parler de ma moto ! On verrait ça dans un film, on le croirait pas !

La D 32 qui traverse le Causse de Sauveterre, c’est encore un pur moment de plaisir motocycliste, même à 80 kmh. Disons 90. Bien sûr, avec une sportive de 150 CV, ça doit le faire aussi, mais pas besoin de tant que ça pour se régaler dans ces paysages "agricoles" reposants pour les yeux (y vaut mieux regarder la route quand même).

Vers Le Massegros la pluie n’est pas loin. Mais pour être venu souvent par ici, je connais le proverbe "Quand au Massegros y fait pas bô, dans l’Aveyron c’est tout bon !", lequel sera parfaitement vérifié une fois encore. Au village j’accroche la Drift, et je prends la jolie petite D 9, qui rejoint la vallée du Tarn à Boyne. C’est à quelques kilomètres de Peyreleau, où on était passés au moment de l’Aigoual, il me semble que c’était il y a un siècle.

Beaux aperçus sur des paysages de "bocages" typiquement lozèriens, avant de rejoindre des routes nettement plus encombrées et moins intéressantes. Boyne-Aguessac-Millau. Il est 14 h, je cherche un restau pour manger vite fait des choses simples et abordables, et j’essuie, comme on dit, échec sur échec. Finalement me voilà à Millau dans une brasserie de carrefour dont le nom m’avait tiré l’oeil, juste au débouché des Gorges de la Dourbie. Les propriétaires y font assaut de gentillesse, vite et pour pas cher j’y mange une goûteuse omelette aux cèpes, "ramassés par nous", m’assure la patronne. En plus, l’endroit est juste au départ des deux routes qui conduisent à un petit viaduc peu connu dessiné par un certain Norman Foster. Y demande quoi, le peuple ?

Je m’étais dit qu’en prenant la petite D 41 qui longe le Tarn entre Millau et Saint-Rome de Tarn, j’aurais peut-être un point de vue/une photo intéressante sur ledit viaduc. Bah, encore une fois, moi et ma caméra n’arriverons pas à nous dépatouiller des problèmes de lumière, même au prix d’une honteuse manipulation, "à la Pierre Dac" ("Monsieur a son avenir devant lui, mais il l’aura dans le dos chaque fois que…").

Allez, cette D 41 n’est peut-être pas le meilleur plan pour faire des photos du viaduc (meilleures opportunités sur la D 992 qui va de Millau à Saint-Rome de Cernon), mais c’est une très jolie route à faire à allure bulleto-compatible.

La direction est maintenant plein ouest. Passé Saint-Affrique avec deux "f", la pluie va être pour ma pomme (bin oui, les perturbations arrivent toujours de l’ouest, tout le monde sait ça). M’énerve, c’était trop beau pour durer. Vers le sud, c’est à dire sur ma gauche, il fait plus un temps du sud, avec du soleil même. Je m’arrête, déplie la carte dans le vent qui s’est mis à souffler exprès pour que je puisse pas la replier, et sort ma liste de bonnes adresses. MotoMag recommande un hôtel à Lacaune. Bon, c’est un trois étoiles, mais si MotoMag le recommande… La route qui plein sud descend sur Lacaune est à une dizaine de km d’ici, bifurcation à Petit Saint-Jean, marrant comme nom. Est-ce que j’aurai le temps d’y arriver avant la pluie ? Quand je repars le suspense est insoutenable, la pluie arrive, je vais me faire rincer à quelques minutes près... Bin non, ça s’est joué à peu, à fond à l’heure je déboule à Petit Saint-Jean, et là cap au sud, en quelques minutes le ciel se déchire, droit devant c’est presque tout bleu ! Et comme un bonheur n’arrive jamais seul (je sais, c’est un cliché, comme on dit en anglais), la route entre Belmont sur Rance et Lacaune est tout simplement magnifique.

Quand j’ai téléphoné à l’hôtel (le Relais de Fusiès, c’est son nom), la personne très aimable qui m’a parlé m’avait dit : "Heu, vous êtes en moto, oui on a bien un garage, mais cinq Allemands en Harley-Davidson viennent d’arriver, et ils l’ont complètement rempli !" Ca me contrarie un peu, malgré les promesses d’arrangement, réitérées à mon arrivée. En effet, en l’état je peux juste entrer la moitié de ma roue avant dans le garage… "Ils sont très gentils", me dit l’hôtesse, qui m’assure s’occuper de mon cas avec les primo-arrivants. Je ne verrai personne avant le repas, mais le temps de monter mes affaires et de prendre une douche, tout le garage s’est réorganisé autour de ma p’tite moto, qui maintenant trône fièrement au milieu d’un cercle de grosses Harley !

Après un bon repas (la différence entre un trois étoiles et un deux étoiles ? Dans le premier, on vous demande sans arrêt si tout va bien et si on a apprécié ceci-cela), j’étale toutes mes cartes sur le lit, et j’appelle Ded31, qui lorsque je lui avais annoncé mon projet par mail, m’avait fort civilement ouvert les portes de sa maison près de Toulouse. Je lui confirme mon arrivée pour le lendemain, et le ton de sa voix m’indique clairement que son offre d’hospitalité n’était pas de façade.

Chic, demain Toulouse, Gavarnie après-demain : si tout va bien, on va bientôt pouvoir faire le cirque ! Ignorant le mini-bar qui me fait les yeux doux, je m’enfile quelques pages de Brautigan, et dodo.

[Fin de la 1ère partie]