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Le Cantal, c’est d’la balle ! (2 sur 2)
Par Jihel
Article mis en ligne le 7 octobre 2012

Suite et fin de "Le Cantal, c’est d’la balle !"

JOUR 2. MARDI 4 SEPTEMBRE (2)
Auroux (Lozère) Lavigerie (Cantal), 160 km

http://goo.gl/maps/OFzBV

L’aléa

Hier soir je visais un hôtel aux abonnés absents, et me suis retrouvé par hasard dans l’hôtel d’à côté, aux petits soins d’une mamie adorable. C’est le charme du voyage, dit quelqu’un de l’aléa. Aujourd’hui, alors que dormir à l’hôtel de la Poste de Dienne, au pied du Puy Mary, était un peu le prétexte de ce voyage-ci, je découvre en m’y arrêtant que s’il est bien écrit sur la façade "Hôtel de la Poste", comme dans mon souvenir, il semble que l’inscription soit tout de qui reste d’hôtel à cette maison, transformée en lieu d’habitation, épicétou. J’essaye de voir à l’intérieur, sous les yeux des deux dames qui discutent, dont l’une depuis sa voiture arrêtée au milieu de la route, ça se fait bien à la campagne.

Au bout d’un moment, celle qui était à la portière me demande quoi qu’est-ce. En repensant au sketch de Bigard ("C’est pour manger ?") je lui dis que je suis venu de loin pour m’arrêter ici, et que, la franche vérité, j’ai l’impression que c’est un peu fermé. Il est d’ailleurs écrit "Fermé" sur la porte, mais sans préciser si c’est juste que la patronne est allée faire des courses, que c’est la fermeture hebdomadaire (ou annuelle), ou si l’établissement cherche un repreneur.

En fait la femme venue me parler est l’ex-patronne. Elle semble touchée par le fait que venir chez elle soit mon "prétexte", et entame un air connu, que j’aurais beaucoup entendu pendant ces cinq jours : "Mon mari est trop fatigué maintenant, et puis mon père qui nous aidait ne peut plus. Mes enfants ? Les enfants ne veulent plus faire ce métier dans des endroits comme ça, ils sont à la ville maintenant (elle ne dit pas laquelle). Alors on a fermé l’an dernier. Si c’est dommage ? Bin oui, c’est dommage, j’aimais bien faire ça vous savez, mais c’est la vie, hein…" Et elle enchaîne : "Bon, avec ça, je vais pas vous laisser en plan alors que vous êtes venu exprès, je vais appeler quelqu’un que je connais à 5 km d’ici, vous serez bien chez lui."

Je me suis donc retrouvé, un peu plus près encore du Puy Mary, dans une charmante auberge "de caractère" dont le bâtiment ancien a été restauré avec goût, et où l’on est bien traité, en effet, par le jeune couple qui tient l’affaire. Le prix ? Ah oui, le prix c’est pas celui de mes "une-deux étoiles" de campagne, mais hier, j’ai payé presque rien. Ce soir je vais bien manger, le confort est royal, et la vue d’ici n’est pas trop vilaine.

La Salers

Avant le repas, j’ai jeté le plus gros de mes sacs dans la chambre et suis monté au Pas de Peyrol, au motif d’y faire quelques photos, des fois que demain la météo serait pire. La lumière est toujours bien grise, et mon appareil, réglé en mode plus-automatique-tu-meurs, continue à faire ce qu’il peut, sans plus. Surtout, cet aller-retour jusqu’au col m’aura permis de faire connaissance avec sa majesté la Salers. Belle bête, en effet, qui vient en concurrence frontale avec "mes" Aubrac dans les concours de beauté réservés aux bovins (les Aubrac y étant indétrônables AMA, grâce au double trait de khôl dont elles s’entourent les yeux).

Tel le blaireau moyen, et pour faire celui qui s’intéresse aux pays qu’il traverse, j’avais demandé à l’hôtesse : "La Salers, c’est bien la vache qui a la peau marron foncé ?" Gloups ! Elle en a presque perdu son sourire (d’hôtesse), qu’elle a charmant. Alors, je le dis ici pour ceux qui n’y connaissent rien en Salers : cette vache-là n’a pas "la peau marron foncé", dire ça est du dernier vulgaire. Elle a "la robe acajou", ce qui a quand même une autre allure. En plus je découvre que ces vaches sont alpinistes ! Depuis l’épingle à cheveux (la seule de la montée) où je me suis arrêté, on en voit plein qui ont grimpillé, comme on dit chez moi, jusque sous les barres rocheuses, dans des pentes à 45°. Au risque de se faire tourner le lait si elles glissent à la descente. Dans sa belle robe, l’animal impressionne par sa masse et ses cornes bien pointutes. Du coup, ça me gêne pas qu’il y ait des barbelés entre elles et moi.

Au col, je fais comme d’habitude des photos de la Route des Crêtes qui s’en va vers Mandailles, mais on commence à ne plus y voir grand chose ; comme d’habitude aussi, je renonce à monter au sommet du Puy Mary (ça n’est pourtant qu’une heure aller-retour), au motif bien commode de qu’est-ce que je vais faire de tout le barda sur la moto ? ; j’entends un papy sportif, qui revient du sommet, se plaindre de ce que pour le chemin, le boulevard plutôt, largement bétonné, qui y conduit, "y z-auraient pu faire quelque chose de plus écologique" ; et je découvre avec intérêt les lieux dont le Comité d’Accueil a jugé bon de nous informer de la distance…

Je vais repasser ici tôt demain matin. Une tempête de ciel bleu ne me déplairait pas.

Une auberge, mais pas que, de caractère

Le soir à l’auberge, près de la moto, je tape la discute avec un type genre jeune retraité venu s’extasier, comme il se doit. Le sujet est "la passion" (rien que ça !). Celle qui conduit un sexagénaire et demi comme moi à aller se faire comprimer les disques intervertébraux sur de petites routes oubliées par les DDE ; la passion en général, même, celle sans laquelle la vie a un mauvais goût, comme le café quand on oublie d’y mettre du sucre. "Y faut une passion, dans la vie, me dit mon admirateur, enfin, celui de ma moto. Moi, voyez, ma passion, c’est les burons. Ca fait des mois que j’en cherche un dans le coin. Je crois que j’en ai trouvé un, le mur le plus haut doit être à un mètre cinquante du sol, mais ça fait rien, je vais le retaper, ça prendra le temps qu’il faudra…"

Un buron, pour le cas improbable où quelqu’un ignorerait ce que c’est, est un abri de berger, qui sert aussi à la fabrication du fromage. En pierre, couverts de lauzes ou d’ardoise, on en trouve de forts beaux dans l’Aubrac (parfois aménagés en résidences de vacances, ou transformés en gîtes d’étape), dans le Cantal donc, et un peu dans toutes les montagnes du Massif Central. Allez, une chti’te photo pour se faire une idée, et bon courage à mon retraité passionné.

Dans cette auberge dite "de caractère", on est une dizaine de personnes dans la salle à manger, la plupart pensionnaires de l’endroit, et la plupart retraités, qui explorent à petits pas les chemins de randonnée. Un jeune couple quand même, avec un bébé et un petit garçon, d’environ 80 cm de haut (je ne sais pas évaluer l’âge des enfants, tout juste leur taille. Il doit y avoir une corrélation, non ?). Le garçon est particulièrement, comment dire, dynamique, et ses parents lui parlent d’une voix dont le niveau doit être de 30 dB au-dessous de la sienne, je ne sais pas si c’est de bonne méthode. Disons que ça se discute.

A sa mère qui, alors que des regards sombres, dont le mien, commencent à converger vers le gamin, lui dit gentiment "Arrête un peu, Jean-Louis…
— Non, j’arrête PAS ! C’est TOI qui arrête !" (NB : par respect de la vie privée, les prénoms ont été changés. J’ai pris le plus joli de ceux que je connaissais.)

Ca a continué comme ça pendant tout le repas – du moins jusqu’à mon départ pour aller lire Le Monde dans la chambre. De temps en temps, Jean-Louis était invité à aller attendre sa glace (qu’il voulait en entrée de repas, puis avant chaque plat) dans la bibliothèque, où il se rendait docilement… pour taper de toutes ses forces contre les baies vitrées au bout d’une minute trente. Le bébé, du coup, se mettait à hurler, ce que le père tentait de calmer en allant marcher avec lui dehors. Heureusement, dehors, il ne faisait pas trop froid.

JOUR 3. MERCREDI 5 SEPTEMBRE
Lavigerie (Cantal) Ferrières Saint Mary (Cantal), 191 km

http://goo.gl/maps/r9dvh

Salers, sans article

Bon, bin, pour la tempête de ciel bleu, il faudra repasser (elle n’arrivera que le jeudi, entre Lozère et Ardèche). Mais les nuages en écharpe et le brouillard au-dessus, ça donne parfois de belles images. Le temps d’immortaliser la Brèche de Roland (tout à gauche sur la photo), j’arrive au Bar-Souvenirs du Col du Pas de Peyrol, que j’ai connu plus fréquenté.

La Route des Crêtes disparaît dans les nuages, et celle que je vais prendre (la route de Salers par le Col de Néronne) ne s’annonce pas terrible. Sur le plan météo s’entend. Parce que c’est une jolie route, elle va être de plus en plus jolie, même.

A peine entré dans la forêt, je m’arrête devant un quadrupède sympathique et intéressé par les motos "anciennes". Lequel va enchainer avec un numéro inconnu de moi à ce jour : il se plante devant la voiture qui a lâchement profité de mon arrêt-photo pour me doubler, fixe les passagers droit dans les yeux ("Il va nous monter dessus !", entends-je), et… se met à lécher goulûment le capot de la Corsa ! Elle revenait peut-être de vacances au bord de la mer ?

Après avoir laissé à droite la route du Falgoux (où est une auberge bien vendue par MotoMag), la D 680 est une "Route des Crêtes", même si la forêt ne laisse pas encore voir grand chose. Tout change à partir du Col de Néronne : on y est accueilli par une vache en contreplaqué (elle ne ressemble que lointainement aux Salers d’hier), qui fait office de support pour les peaux qui sont vendues dans l’établissement d’en face. L’endroit fait aussi Chambres d’Hôtes, ça doit être pas mal de se réveiller ici. Comme je m’échine à recopier le téléphone sur mon petit carnet en moleskine, le patron sort avec la carte de visite de l’établissement. Geste commercial, certes, mais sympathique, je m’en souviendrai.

Bon sang, mais c’est bien sûr ! Ce n’est qu’après avoir fait quelques centaines de mètres dans la superbe descente vers Salers, où on dirait qu’il fait beau, que j’ai réalisé que je "connaissais" cette route, où j’étais pourtant pour la première fois : j’avais en tête les images du Tour de France passé ici en 2004, et aussi celle des arbres superbes qui bordaient la route un peu plus bas. Devant ma télé, j’avais dû noter quelque part "Aller en moto à cet endroit !". Voilà une bonne chose de faite.

Salers est un joli village, de l’espèce labellisée des "Plus beaux de France". Dans le centre, on pourrait tourner un film en costumes sans beaucoup d’aménagements, en enlevant juste les voitures. Et les motos, oui.

Garée devant l’église pendant que je vais acheter pour mon pique-nique des fruits, du pain et un Caprice des Dieux (non, je rigole), la Bullet ne manque pas de faire son habituel petit effet. Un cycliste en particulier passera du temps à me questionner, et à me parler de la Bonneville qu’il avait dans les années soixante. Je suis toujours étonné du nombre incroyable de gens que l’on rencontre et qui ont eu des Bonneville dans les années soixante. Au moins trois ou quatre fois la production de l’époque, au total ! Au point qu’on se demande comment l’usine a pu connaître des problèmes avec l’arrivée de la "Quatre pots". Autre effet de l’attention particulière que suscite ma p’tite moto, cette femme, retour des courses : "Attention, vos tendeurs sont pas attachés, derrière !". Trop gentille la dame. Je lui explique que c’est parce que je suis en train de réorganiser mon barda. "Oh, c’est parce que j’ai vu que vous étiez occupé vers l’avant. En tout cas elle est bien jolie, votre moto." Etc., etc.

Sur les Crêtes

Encore une belle allée d’arbres en quittant Salers. "L’allée d’arbres" est pour moi ce qui représente le mieux la jolie-petite-route-de-campagne, et même une certaine idée du voyage. Malheureusement, à cause du nombre d’automobilistes qui ont tendance à se jeter dessus, elles sont en voie de disparition. Comme mes hôtels "une-deux étoiles"...

J’emprunte un moment la route d’Aurillac, belle route à limer les repose-pieds avec une sportive, et je la rends pour rejoindre, par les cols de Legal et de Bruel (!), et un festival de petites routes à Bullet plus jolies les unes que les autres, la Route des Crêtes "officielle". En surplombant la vallée de la Jordanne depuis Aurillac justement, elle rejoint le Pas de Peyrol par Mandailles.

Jusqu’au pied du Col du Perthus (et oui Témasque !), cette boucle typiquement cantalienne sera vraiment un des grands moments de ce petit voyage, et tant pis si les Crêtes sont parfois aux abonnés absents : en échange, des routes sans arrêt tournicotantes, des paysages agréables et variés, de belles maisons et des fermes (parfois fortifiées) avec de l’allure, et une circulation presqu’inexistante.

Après Mandailles où je règle au téléphone l’étape du soir dans un "une-deux étoiles" que je connais sur la nationale entre Aurillac et Massiac (mauvaise pioche, on le verra), c’est donc le Col du Perthus, qui n’a que le nom en commun avec le célèbre col catalan. C’est aussi un col du Tour de France 2011, et vu les pourcentages de pente dès le départ (jusqu’à 14 %), pour s’y lancer en vélo il vaut mieux avoir de gros mollets. Ou une Bullet, souveraine ici comme sur toutes ces petites routes.

Mets de l’huile

Au pied du Col du Perthus (Saint Jacques des Blats), et parce que j’ai du temps avant d’arriver à l’hôtel, je referme quasiment la boucle ouverte hier, via un bout de la RN 122 (et la route qui passe au-dessus du tunnel du Lioran), Murat et à nouveau le col d’Entremont. Suit un détour dispensable en bordure du Plateau du Cézallier, où une église qui menace ruine m’attire l’œil, par sa position imprenable (la deuxième photo ci-après a été prise depuis le parvis), et à nouveau la RN 122 et mon "Hôtel des Voyageurs".

Devant l’hôtel je béquille la moto sur le parking et la centrale, vais faire quelques courses au Vital du coin (l’hôtel ne fait pas à manger ce soir, tiens…). J’y fais rire sans trop de difficulté la jolie caissière, en improvisant sur le fait qu’avec une addition à 2 € 05, je ne vais pas beaucoup gonfler son chiffre d’affaires du jour. Elle rit, donc, ce qui lui va bien au teint (je profite de l’occasion pour rappeler que l’adage "Une femme qui rit est déjà à moitié conquise" vaut exclusivement quand on a moins de trente ans. Et oui !).

En passant à côté de la moto je jette distraitement un œil sur le niveau d’huile, tiens, on ne voit rien dans le hublot, ça fait pourtant une demi-heure que je me suis arrêté. J’ai dû trop avionner sur la nationale, pensé-je. Et puis j’ai roulé 9 h aujourd’hui, l’huile doit s’être barrée dans tous les recoins du moteur, elle sera redescendue demain matin. En fait j’y crois pas trop : je sais que chez moi, une grande partie de l’huile est redescendue 10 mn après que j’aie coupé le contact.

Sûr que je vais mal dormir si les choses en restent là. Gamberge : comme, à près de 27 000 km, elle n’a jamais rien consommé entre deux vidanges (le bidon d’un litre que j’avais acheté avec la moto est toujours scellé, et ça fait longtemps que je ne l’emmène plus en voyage), je m’y suis habitué, et ne suis plus sûr de bien avoir vérifié le niveau avant le départ. Demain, la queue basse, je vais devoir appeler le concessionnaire pour lui demander quelle huile il faut mettre et laquelle pas (je crois que c’est de la semi-synthèse, mais j’en suis même pas sûr). Chance, je suis sur une nationale, je devrais trouver une station-service pas trop loin.

De mauvais appétit, j’avale ma niçoise en boîte et ma compote de pommes dans la chambre, et bien sûr je redescends aussitôt après voir "mon" niveau d’huile. Je secoue la moto sur sa béquille, à tout hasard. Rien. Nada. Nothing. Il n’y a plus une goutte d’huile dans ce moteur. Cet aléa-là, pour le coup, je le trouve saumâtre. Je me mets derrière la moto, recule de quelques pas, et sors mon fil à plomb (du Cantal) virtuel : ‘tain, la moto est pourtant bien verticale, plus c’est pas possible.

Et quand même, je débloque la direction, enlève le bloque-disque (je sais, mais en voyage…), descend la moto de la béquille, et au risque de me la prendre sur la tronche, je m’accroupis à côté en la maintenant d’une main juste au point d’équilibre… Et là, miracle, l’huile afflue et le niveau s’immobilise un peu au-dessus du milieu du hublot, comme d’hab’, quoi. Je m’étais donc fait ce mauvais film parce que le sol de ce parking public, parfaitement et récemment goudronné, n’était pas bien horizontal ! Si je raconte tout ça, à des fins d’édification et en bravant le ridicule, c’est que je suis sûr que l’inclinaison de la moto (vers la gauche, donc, ce qui "vidait" le carter à droite) par rapport à la verticale était infime, quelques degrés à peine ! Petite cause, grands effets…

J’adore ma moto.

JOUR 4. JEUDI 6 SEPTEMBRE
Ferrières St Mary (Cantal) Auberge du Bez (Ardèche), 192 km

http://goo.gl/maps/lPPbM

Fog, again

Après une nuit passée à regarder ma montre et à me dire que c’était vraiment n’importe quoi d’avoir choisi la première des chambres proposées, celle qui donne directement sur la rue, sur la route nationale plutôt (les camions n’ont cessé de traverser ma salle de bains qu’entre minuit et deux heures du matin), p’tit déj’ sous le regard du cerf (est-ce cela qu’on appelle un "massacre" ?) qui ne me quitte pas des yeux une minute.

En allant chercher la moto sur le parking, il m’a bien semblé sentir des gouttes. Sinon de pluie, du moins du brouillard qui sature l’air. En roulant il y aura vite des gouttelettes accrochées un peu partout sur la moto, et sur le bonhomme. Se redire une nième fois que la météo nationale (= météo du capital) avait annoncé, pour cette semaine qui se termine, du grand beau temps sauf sur la façade Est ne sert à rien… qu’à se faire monter la tension, pas vrai ? Alors je dis rien.

La toute petite D 14 que je prends pour rejoindre Talizat puis Saint Flour ne doit pas être vilaine, si j’en juge par ce que je vois quand le brouillard se déchire un peu. Et le brouillard qui se déchire, c’est souvent l’occasion de belles… surprises. Comme ce type aperçu dans son jardin au dernier moment, qui se redresse et me regarde passer avec un sourire jusqu’aux oreilles, sorte de variation sur L’Homme qui rit.

A la sortie de St Flour je suis tenté un moment par le voyage ultime, mais finalement, ce ne sera pas pour aujourd’hui, j’ai un peu prévu de rentrer, là. A la place je vérifie une fois de plus qu’à Saint Flour il faut au moins un bac + 12 en orientation pour trouver la belle D 590. Et le GPS, alors ? Le quoi ?

Route à moto s’il en est lorsque les gravillons ne sont pas de la partie, la D 590 rejoint Langeac par Pinols, et fait passer du Cantal à la Haute Loire (on quitte le Cantal après Védrines Saint Loup). Aujourd’hui, le passage se fera dans le brouillard presque jusqu’au bout. M’en fout si je bats des records de vitesse inversés, et puis j’ai décidé que le brouillard ne m’empêcherait pas de faire des photos.

A Pinols, le plan c’était de traverser le nord de la Margeride en passant par Auvers, près du Mont Mouchet (l’un des hauts-lieux de la Résistance). Aucun peintre n’a séjourné dans cet Auvers-là, mais l’endroit vaut le détour pour la statue célébrant le courage de la jeune fille qui, avec une lance de sa fabrication, a tenu tête à la Bête du Gévaudan en 1765 (celle-là même à laquelle ma moto est allée se mesurer un peu plus loin, sous le soleil, oui). La Bête s’est enfuie, mais a eu la mauvaise idée de revenir sur les lieux un peu plus tard. C’est près d’Auvers qu’elle a été tuée par Jean Chastel, avec des balles fondues à partir des médailles de la Vierge Marie qu’il portait sur son chapeau. Bon, les choses ne se sont peut-être pas passées exactement comme ça, mais comme dit le journaliste de L’Homme qui tua Liberty Valance, "lorsque la légende est plus belle que la vérité, nous publions la légende"…

A Pinols je m’arrête pour prendre un café : je roule dans le brouillard depuis ce matin, et ça finit par vous glacer la moelle, c’t’affaire. Et aussi pour prendre des nouvelles de l’hôtel des Voyageurs (un de plus), bel établissement selon mon cœur, à la façade "végétalisée", comme on dit aujourd’hui, et qui, curieusement placé en contrebas de la rue principale, arbore fièrement le panneau "Les Routiers" (ça existe encore, ça ?). L’hôtel est fermé, et je n’ai pas le courage de chercher à savoir si c’est pour de bon.

Alors je vais prendre mon café à celui d’en face, où la patronne arrive en même temps que moi, avec son rejeton qu’elle ramène de l’école (avait-elle fermé pendant ce temps ?). Moitié pour moi, moitié pour sa propre information, elle demande au lascar : "C’était bien l’école, ce matin ?
— C’était pas bien. L’école c’est CHIANT !
— Corentin, on ne parle pas comme ça…", dit la mère (les prénoms ont été changés, naturellement), avec un regard gêné vers moi. Je rappelle qu’on était là au troisième jour d’école.

Je ne sais toujours pas évaluer l’âge des gamins, mais Corentin mesure environ 1 m 10. Après avoir jeté son cartable n’importe où ("Corentin, vas ranger ton cartable, je te l’ai déjà dit !"), il se juche avec difficulté sur le tabouret haut qui est devant le jeu vidéo du café. On ne l’a plus entendu dès que le jeu a commencé, et je prends le pari qu’il y a passé la plus grande partie de la pause-déjeuner. En partant, je lui lance un hypocrite "Bon courage pour l’école !", avant d’ajouter méchamment "Pour info, tu sais que tu en as encore pour quelques années ?". Il sourit, mais c’était peut-être à son jeu. "Corentin, on dit ’Merci’ !", entends-je en refermant la porte. Bon courage aussi à vous, madame.

Entre deux interventions sans succès auprès de son gamin, elle avait eu le temps de me dire "Le Mont Mouchet ? C’est vraiment pas une bonne idée d’y aller aujourd’hui. Là-haut (environ 500 m plus haut, NDLR), le brouillard s’accumule toujours. Et vu ce qu’il y a ici…" Et voilà pourquoi je suis resté sur la D 590 pour redescendre à Langeac, pas une punition d’ailleurs, d’autant que quelque chose comme du soleil m’y attendait. Et une salade-chèvre chaud servie par une beauté au sourire lumineux.

Envoi

Après Langeac et jusqu’à l’Auberge du Bez (le dernier et le plus bel endroit où j’ai fait étape pendant ce voyage), il y a eu encore beaucoup de belles routes : AMA on fait pas beaucoup mieux pour ça que le trio Haute-Loire – Lozère – Ardèche. Mais je vais m’en tenir là, parce que :
a) d’abord on n’est plus dans le Cantal, et
b) peut-être que mon histoire, ça suffat comme ci maintenant.

Merci de m’avoir lu jusqu’ici... d’autant que l’essentiel était déjà dans le Sujet : le Cantal, c’est d’la balle ! Et qui, mieux qu’un bulletiste, peut comprendre ça ?

. JL